vendredi 1 novembre 2013

LETTRISME : LE CINEMA DE SABATIER



LA (CERTAINE) IMAGE DU CINÉMA DE ROLAND SABATIER
Projections de 12 films de Roland Sabatier organisées dans le cadre de son exposition  OEUVRES DE PEDAGOGIE ESTHÉTIQUE (1988-1990).
Du 9 novembre 2013 au 9 février 2014
FONDATION DU DOUTE / BLOIS
PAVILLON DES EXPOSITIONS TEMPORAIRES
Programmation établie par Anne-Catherine Caron

Movies, l’autre, 1969. Film infinitésimal en exposition permanente dans la salle de projection. (Encre sur papier, 65 x 55 cm). Dans ce film « tout ce qui bouge » suggère les images et les sons d’une œuvre filmique imaginaire totalement ouverte et pour toujours à la participation du public. Le mouvement des spectateurs se substitue ici à celui du cinéma en mouvement.

Le Songe d’une nudité, 1968. 16 m/m, N&B et couleur, 19 minutes. -  Ce film est essentiellement composé de longues séquences de pellicules détournées, altérées et en partie abrasées, et entrecoupées de brefs passages de manifestations en faveur du Soulèvement de la jeunesse tournés dans Paris et de négatifs montrant un personnage aux prises avec une attente vaine. Outre la destruction des images, son intérêt principal réside dans la proposition d’une bande sonore qui est, elle-même, mise en abîme au point de ne plus laisser subsister que quelques phrases, des mots détachés ou des syllabes séparées rendant celle-ci en partie mutilée.

No movies, 1968. Vidéo couleur, 19 minutes. - Ce film offre un plan ininterrompu de l’image réfléchie dans un miroir d’une jeune femme pensive. Le son se construit autour de l’énonciation lancinante, également ininterrompue, dérivée d’extrapolations ou de dénaturations du mot « image ». Par le mono-signe, ce film explore l’expression de la mise en doute du cinéma fondé sur les multi-écritures visuelles et sonores.

Évoluons (encore un peu) dans le cinéma et la création, 1972. Film 16 m/m, couleur, 25 minutes. - Sur des images banales visant à illustrer potentiellement un aperçu des thématiques envisagées par le cinéma passé, ce film hypergraphique propose dans la bande sonore la description minutieuse de l’ensemble des signes qui au lieu d’être inscrits sur les images sont ainsi donnés en dehors d’elles. Au spectateur d’assurer mentalement la jonction de ces deux expressions. Pour Isidore Isou, la bande-son de cette réalisation "nous laisse espérer une existence faite de simplicité édénique, mais inabordable dans le dépassement du texte des nombres, symboles des relations qui nous emprisonnent. Ce film ouvre de hautes possibilités de développement et d'épanouissement."

Esquisses, 1978. Film vidéo, sans image, sonore, 32 minutes. - Un film qui veut exister mais qui n’y parvient pas ! Construit autour de « Savoir », « Devoir », « Pouvoir » et « Vouloir », cette réalisation sans image se préoccupe de toutes les modalités, positives et négatives, énoncées verbalement, dans un crescendo précipité, de l’inexistence du cinéma. Ces dernières agissant à son encontre comme autant de motivations anéantissantes.

Je ne cherche pas un Isou parfait, mais je trouve un Isou meilleur (1978).  Film vidéo, 32 minutes. - Le film se constitue d’un ensemble de plans fixes en noir et blanc en rapport avec la vie et l’œuvre d’Isidore Isou, le créateur du Lettrisme, dont les images sont partiellement déchirées ou mutilées. Ces dernières servent de base à un développement sonore énonçant des termes synonymes de l’insuffisance, de l’altération, de l’imperfection, de la fragmentation ou de l’appauvrissement. Ce film « infinitésimal raté et inachevé » donne à réfléchir sur les grandeurs et les misères de la créativité.

Regarde ma parole qui parle le (du) cinéma (1982). Film vidéo, 46 minutes. -Ce film relate dans la bande sonore l’histoire d’un cinéaste qui, laissant vagabonder son imagination, rêve à un cinéma futur tout en se remémorant les grandes scènes du cinéma passé qui lui sont suggérées par certains actes de la vie quotidienne se déroulant devant lui. Sans relation avec ce récit et en guise d’images inexistantes se succèdent sur l’écran les définitions techniques de tous les cadrages et tous les mouvements opérés par une caméra dans la réalisation cinématographique auxquelles s’ajoutent quelques photos emblématiques de cet art. Ce film est un hommage au cinéma de tous les temps.

Quelque part dans le cinéma, 1982. Film vidéo sans image, sonore, 28 minutes. - L’auteur décrit lui-même cette œuvre comme un « film, qui parle, sans jamais en montrer le moindre signe, de toutes les particularités d’une narration hypergraphique destinée à se perpétuer en tant que telle sous une forme exclusivement verbale ». En ce sens, cette œuvre radicale se présente comme un film anti-hypergraphique, ou comme une réalisation hypergraphique réduite à une conférence relative aux valeurs de ce genre nouveau de narration.

Mise en place de rires justes dans une société injuste, 1985. Film vidéo, 27 minutes. - Des contrepèteries entrecoupées de rires et adaptées aux célébrités de l’époque sont offertes comme de simples tremplins à la conception mentale des images, des plans et des sons virtuels situés au-delà de toutes les beautés concrètes. Insolite et forcément désopilant !

Œuvres pour chiens, 1991. Film vidéo, couleur, 51 minutes. - Film documentaire sur l’exposition de Roland Sabatier, Œuvres pour chiens, organisée à la Galerie Artcade de Nice du 25 sept. au 2 nov. 1991. Dans le cadre du vernissage de la manifestation, où les chiens nombreux, conduits par leur maître et les pompiers de Nice, affluent pour admirer ou réaliser les œuvres présentées, ce reportage intègre Le Fichier des chiens perdus dans la réaction culturelle et l’Œuvre de pédagogie esthétique pour canins réalisée par l’auteur. Les chiens à l’assaut de l’art officiel à Nice !

Pour-Venise-quoi ?, 1994. Film vidéo, 45 minutes. - Tout en achevant le film qu’ils ont réalisé, un couple dialogue interminablement au sujet de l’amour, de la vie, de la société et de la photographie. Au cours d’une exposition d’un artiste du groupe lettriste, le jeune homme est abattu et meurt juste après avoir demandé à sa compagne de terminer son œuvre. L’image s’ajuste à ce déroulement pour n’en visualiser que des parties infimes tandis que leurs paroles sont accompagnées d’énonciations chiffrées pour suggérer les distances qui séparent les protagonistes dans l’écoulement temporel de la réalisation.

Propriété d’une approche, 2008. Film vidéo sonore et en couleur, 38 minutes. - La bande son est construite à partir d’une communication faite par l’auteur à un colloque de Cerisy-La-Salle. Elle rend compte des échanges établis de 1946 à 1966 entre André Breton, le créateur finissant, et Isidore Isou, le créateur qui arrive, soucieux d’obtenir l’adhésion du premier pour la défense des conceptions esthétiques et politiques dont il est porteur. La section visuelle, proposée en discrépance, tente de cumuler en son sein toutes les formes existantes, banales ou détériorées, ciselées, hypergraphiques, infinitésimales et excoordistes de l’histoire de la photographie.

ROLAND SABATIER : "OEUVRES DE PEDAGOGIE ESTHETIQUE" et "La (CERTAINE) IMAGE DU CINEMA DE ROLAND SABATIER". La visite floue (avec une répétition) de l'exposition au Pavillon des expositions temporaires de la Fondation du doute de Blois. Documents Archives Anne-Catherine Caron, 2013.
www.rolandsabatier.com

A LIRE UNE INTERVIEW DE ROLAND SABATIER SUR LETTRISME ET EXTERNITE : "Lorsque j'expose au Centre Pompidou, je ne me demande pas si j'expose chez un ancien président de la République…"
http://lettrismeexternitefeminine.blogspot.fr/search?updated-min=2013-01-01T00:00:00-08:00&updated-max=2014-01-01T00:00:00-08:00&max-results=2

jeudi 1 août 2013

QUAND ISOU INVENTAIT MAI 68









"S’il faut en croire le philosophe Michel Onfray, Isidore Isou, un autre philosophe, avait défendu, 20 ans avant tout le monde, les valeurs qui allaient devenir celles qui émergèrent lors des évènements de mai 68. C’est ce que l’on pouvait découvrir en écoutant la conférence de Michel Onfray, sur l’antenne de France culture, le 30 juillet 2013. lien
C’est dans sa "contre histoire de la philosophie" que le philosophe raconte la vie et décrit les théories d’Isidore Isou, peut-être le premier penseur de mai 68, bien avant Guy Debord et ses situationnistes, ou André Breton et ses surréalistes.
Rappelant la pensée d’Arthur Rimbaud, pour qui les artistes ont des antennes, la poésie étant étymologiquement création, qu’ils perçoivent et retranscrivent sous des formes diverses, peinture, musique, écriture, cinéma, etc… ce qu’ils ont perçus, il va évoquer le grand poète précurseur qu’était Isidore Isou". 
Suite de l'article publié par Agoravox.




lundi 24 juin 2013

LES POSITIONS DU LETTRISME A BLOIS

Dans le cadre de la Journée d'études consacrée au Lettrisme, organisée le 19 juin 2013 par Alain Goulesque à l'Ecole d'Art de Blois, Roland Sabatier exposant "Les Positions du Lettrisme" lors de sa conférence.
Photo: Archives Anne-Catherine Caron

vendredi 12 avril 2013

COMBAT D'IDEES A BLOIS


Anne-Catherine Caron – Dans la présentation de l’exposition « Combat des idées », organisée au Musée d'Art de Blois qui, à partir de la Collection d'Eric Fabre, abritait précédemment le Musée de l'objet, Ben te désigne comme « le dernier des Mohicans, le dernier des Lettristes défendant bec et ongles Isidore Isou. » C’est drôle, non !
Roland Sabatier. – Oui, drôle, c’est certain, mais cela pourrait être ambigu. Quoi qu’il en soit,  on ne sait si c’est une critique ou une reconnaissance louable. Je connais Ben depuis près de 50 ans durant lesquels nous avons eu plusieurs fois l’occasion de nous rapprocher. Peut-être que je me trompe, mais je reste persuadé qu’il n’est pas indifférent aux apports du lettrisme et qu’il en comprend très bien l’importance. Mais, comme il ne sait pas le dire simplement, il le dit comme il le peut sans le dire vraiment. Il sait que je sais cela, et je crois que c’est pour cette raison qu’il m’estime et moi, il sait que je l’estime pour ce qu’il sait, même s’il ne parvient pas à le dire. Il a aussi compris l’importance de Duchamp, mais il serait dommage qu’il soit lui-même le dernier néo-dadaïste à défendre bec à ongles tous ses imitateurs. J’espère pour sa santé mentale et physique qu’il n’est pas le dernier à défendre de la même manière la conception héliocentrique du monde, la microbiologie, la loi de la relativité ou les principes de l’évolution des espèces.

ACC. – C’est encore plus drôle et, pour le coup, pas du tout ambigu ! Ce que tu dis est beau comme un conte de fées. Ailleurs, il écrit t’avoir rencontré dans un bar et que tu lui as fait le coup du cobra ensorceleur.
RS. – Je ne me connaissais pas cette capacité reptilienne. En fait, pour des raisons pratiques, je l’ai rencontré récemment à son hôtel. Nous avons ensuite passé un long moment ensemble dans un café, en compagnie d’Alain Goulesque et Ludo, où je n’ai rien fait d’autre que de répondre à ses questions, au sujet du Lettrisme et d’Isou, notamment, dont il croit que l’ego anime tous ses apports alors qu’il n’a obéi toute sa vie qu’à sa Créatique. Je défends les conceptions d'Isou, comme je défends toutes les créations : les siennes s'ajoutant aux précédentes dans différents domaines de la culture. Le compte rendu lapidaire et amphibologique de Ben est d’autant plus surprenant que, sur ce sujet comme en de nombreux autres que nous avons évoqués, il m’a semblé être en tous points d’accord avec moi. C’est sûrement un effet du cobra !

ACC. - Comment s’est organisée finalement ta présence dans cette exposition dont il a eu l’idée et dont il était le maître d’œuvre ?
RS. – C’est lui qui m’a téléphoné à plusieurs reprises pour me demander de participer. Il souhaitait présenter dans cette exposition temporaire les manifestes importants des futuristes aux groupes de l’art contemporain en passant par Duchamp et Dada. J’ai accepté d’y faire figurer le Lettrisme en lui donnant ce qu’il m’a demandé, précisément, un montage contenant les explications résumées des apports du Lettrisme dans toutes les dimensions du Savoir et de la vie, et, également, il a beaucoup insisté pour cela, le grand schéma qui montre la place occupée par le Lettrisme dans l’évolution des arts visuels depuis l’origine jusqu’à aujourd’hui. Y figure également, noyé dans un compagnonnage étrange, le « Manifeste de la peinture poudriste », de 1960, d’Isidore Isou.

ACC. – De fait, peut-être ai-je regardé trop vite, mais il me semble que la salle ne présente pas que des manifestes, mais également de nombreuses œuvres de grandes dimensions tellement prégnantes et serrées que les quelques rares manifestes présents ont souvent du mal à émerger.
RS. – C’est là la preuve que Ben a peur du vide. La surcharge est son parti pris fondamental et, en dépit d’un souhait sincère d’établir une certaine forme de classification et de hiérarchie dans l’univers contemporain, il me donne à penser qu’il prend un malin plaisir à brouiller toutes les pistes et cela avec une ténacité inébranlable, une énergie rare et un courage indéniable dans la défense de ses idées. C’est sûrement à ce niveau-là que se situe sa cohérence.

ACC. –  Comme tu le fais toi-même en quelque sorte et pour des objectifs différents ! Venant de toi, c’est très gentil ce que tu dis à ce sujet. De toute façon, rien n’est grave dans tout cela.
RS. – Même s’il s’agit d’une cause différente et même opposée à la sienne, je ne vois pas comment il serait possible d’agir sans la ténacité, l’énergie et le courage. Mon empathie à son égard englobe le fait que, pour avoir convaincu Achille Bonito Oliva, c’est à lui que l’on doit la présence du Lettrisme, en 1993, à la Biennale de Venise, en même temps que Cage et le groupe Gutaï - et où m’a été donnée la possibilité de réaliser sur quarante mètres de long le même schéma que celui, dix fois plus petit, qui figure actuellement à Blois. Il ne m’est pas possible d’envisager Ben sans compter ce fait.
Au-delà, comme tu le dis si bien, tout cela n’est pas grave, c’est Ben, tout simplement !
Entretien réalisé à Blois le 6 avril 2013.
Légende de la photo : Roland Sabatier, Œuvre de pédagogie esthétique : les positions du Lettrisme, 1989-1990. (Archives Anne-Catherine Caron).